Quand je fais des interventions dans les établissements scolaires, ma plus grande difficulté est liée aux écarts entre la commande institutionnelle et la demande du terrain. En règle générale, l’institution se pose comme « ignorante » des mondes numériques et me contacte en ma qualité « d’expert » pour sensibiliser les élèves aux dangers du web.
Paroles d’experts
Le recours à un expert pour des actions de sensibilisation à l’Éducation Aux Médias est quelque chose qui me chiffonne en soi. Cela fait au bas mot une dizaine d’années que j’entends les ministres de l’Éducation affirmer qu’il faut intégrer les usages numériques à l’école et malgré cela, on a toujours recours à des « experts » pour des interventions que je qualifierais de basique dans le sens où pendant cet intervalle, on aurait pu, on aurait dû former des ressources en interne.
Mission Impossible
Les mondes numériques des adultes sont peuplés de pédophiles à la sortie de l’école, de terroristes joueurs, de harceleurs, de pirates, cyberdépendants, et j’en oublie surement. Votre mission si vous l’acceptez est de sensibiliser les élèves à ces dangers du web. Le pire dans ce paysage, c’est que malgré votre statut d’expert (donné par l’institution qui passe la commande) et bien, vous aurez bien du mal à expliquer que tout ceci n’est absolument pas la réalité. Et si vous persistez dans l’erreur de croire qu’en votre qualité d’expert, vous savez de quoi vous parlez, l’institution autoproclamée ignorante fera appel à un intervenant qui brosse dans le sens du poil.
Et les élèves alors ?
Prévenus d’une intervention sur les dangers du web, les élèves de cinquième que j’ai rencontré récemment n’ont pas du tout cette perception des mondes numériques. C’est la lecture du billet d’Alexandre (à retrouver sur le site d’elab) qui m’a incité à changer d’angle. Plutôt que de leur donner un discours convenu (mais qui de toute façon ne me convient pas), je les ai interrogés. Oui, j’ai osé demander à des élèves leur avis ! « Quels sont les dangers du web ? » Leurs réponses sont venues conforter une enquête de Fréquence école publiée en 2010 (à télécharger sur leur site : http://frequence-ecoles.net/ressources/view/id/cd7d44adab3b6610e9fb3221344738b9). Leurs dangers, leurs craintes ? Les virus, les arnaques et les piratages de compte. Facebook ? Plus d’un tiers d’entre eux n’y sont pas et ceux qui y sont ne connaissent pas les listes, les paramètres de confidentialité. D’ailleurs ce n’est pas au Collège qu’ils risquent d’apprendre cela, l’utilisation de Facebook est facturée deux heures de colle. On ne cherche pas à comprendre ce qu’ils y font, cela n’a pas d’intérêt. On sanctionne arbitrairement. Et par là même, on condamne l’élève à une utilisation clandestine.
Vous avez dit danger ?
Le danger, c’est vous. Vous qui vivez terrés dans la peur d’une cyber menace indéfinie. Vous qui clamez à torts et à cris que vous savez ce que vous dîtes, parce que ça fait vingt ans que vous faites ce métier et qu’on ne va pas vous la faire. Vous qui ne voyez pas que le monde change autour de vous, et qui restez reclus dans votre tour d’ivoire. Vous qui n’avez qu’une seule crainte, perdre le pouvoir que vous croyez avoir et qui êtes prêts à toutes les vilainies pour le conserver. Vous vous êtes trouvés un bouc-émissaire, les mondes numériques. Vous êtes entrés dans une logique de confinement qui pourrait s’avérer exemplaire en Iran ou en Chine.
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